15 janvier 2025: un drôle d’avatar pour l’éthique de responsabilité

Le projet EACOP de Total Energie, dans une table ronde sur l’engagement écologique… Ce pourrait être, ou ce fut vraiment, qui sait ? dans une association, un débat interne, portant sur l’engagement écologique. Le débat est foisonnant, des idées intéressantes sont émises, même si une partie des prises de position relève davantage de la conversation de comptoir que d’un travail documenté. Mais le débat dérape, lorsque, pour illustrer le dilemme de Max Weber entre l’éthique de conviction et l’éthique de responsabilité, le cas des actions de protestation et de désobéissance civile contre Total, notamment à cause de son projet EACOP (un oléoduc chauffé, reliant des champs pétrolifères en Ouganda à un port d’exportation en Tanzanie, sur plusieurs milliers de km, très contesté, à de nombreux titres, voir ici), sont abordées. On entend deux types d’arguments : certains, disent en substance « Total est une entreprise française, si elle est gênée par les actions militantes, ce sont des entreprises étrangères, sans scrupules, qui en profiteront ». Ceux qui combattent cette opinion invoquent les atteintes violentes au droit des populations sur le tracé d’EACOP. Mais personne n’aborde la question en termes d’enjeux de long terme, parmi lesquels l’irréversibilité des infrastructures énergétiques. Car ces entreprises productrices d’énergie attendent un retour sur investissement. Ces infrastructures durent longtemps, 50, 80, 100 années, peut-être. Il ne s’agit pas d’investissements de renouvellement d’infrastructures existantes, mais de capacités nouvelles d’extraction, d’acheminement, de raffinage des énergies fossiles. Elles seront là, et leurs propriétaires feront tout pour qu’elles soient rentables, donc qu’elles produisent, beaucoup, sur toute leur durée de vie, sur laquelle est calculée le fameux ROI, return on investment ! A chaque nouvel investissement, il y a donc un effet cliquet vers l’irréversible. Même si elles étaient construites dans le respect absolu des droits de l’homme, ce qui n’est pas le cas, en seraient elles moins dangereuses pour le futur de l’humanité ? A d’autres moments du même débat, toujours au nom de l’éthique de responsabilité, et à propos d’autres entreprises, d’autres branches, s’échangent des arguments, autour d’emplois menacés, etc.. et donc de la nécessité de prendre en compte toutes les conséquences avant de prendre position. Toujours plus…. Mais regardons dans une autre direction : une toute récente manchette du Monde, daté du 9 janvier 2025 nous permettra peut-être de distinguer les niveaux et de voir autrement la dialectique entre morale de conviction et morale de responsabilité. Le titre annonce : Les géants de la tech s’allient à Trump contre l’UE. Entre autres précisions, on nous indique que La silicon valley veut aussi …. sécuriser son approvisionnement en énergie. Autrement dit, tant pis si le climat explose (ou si les déchets nucléaires s’accumulent), pourvu que nous puissions développer le bitcoin, l’intelligence artificielle, etc.. Démonstration par l’absurde : cette volonté de développement industriel justifie toutes les fuites en avant dans la construction de toujours plus d’infrastructures énergétiques (l’extraction de toujours plus de métaux etc..), dans une logique extractive, mais aussi dans une logique capitaliste de rentabilité à long terme de ces investissements – et donc d’irréversibilité. Il y aura donc toujours des arguments, qu’ils soient souverainistes (pourquoi d’ailleurs une multinationale d’origine française serait-elle plus éthique qu’une multinationale d’origine indienne, chinoise ou américaine ? Sa logique est d’aligner son comportement sur celui des autres multinationales, pas sur les conceptions éthiques, à supposer qu’elles existent vraiment, de son pays d’origine ! ) ou basées sur l’équilibre économique et ou social de tel ou tel secteur. Cela montre les limites du critère d’éthique de responsabilité appliqué à des approches sectorielles … On peut relire aussi, dans le même esprit, l’édito de la lettre écologique de Mediapart du 8 janvier, qui démonte la fausse justification sociale des Soldes. Il rappelle notamment que, produisant 4 milliards de tonnes d’équivalent CO2, l’industrie textile est l’une des plus polluantes du monde, pesant plus que les secteurs aérien et maritime réunis.(…) Avec l’inflation, la paupérisation galopante, les soldes sont pourtant toujours présentés comme une bouffée d’oxygène (…) ce serait oublier de dire que si 3,3 milliards de vêtements, chaussures, linge de maison sont mis sur le marché chaque année en France, c’est deux fois plus que dans les années 1980, en même temps qu’explosaient les inégalités sociales. La surproduction – et le déstockage – s’est imposée comme un modèle économique qui s’accommode parfaitement des écarts croissants de richesse. Ou plus exactement qu’il vit de ceux-ci. Une approche éthique dans un monde complexe ne peut être que globale. Si on garde un point de vue sectoriel, il y aura toujours des arguments pour ne rien changer. Elle ne peut-être que solidaire : donner à chacun les moyens de vivre doit être la première contrainte économique des modifications de ce système global. Enfin, elle ne peut qu’être collective : nos scrupules individuels se heurteront vite à l’impuissance des individus au-delà de leur propre sphère de consommation. Enfin, la transposition de l’éthique de responsabilité dans un monde complexe, passe par la dissociation des étapes du raisonnement. Une première phase, d’invention, de conception, doit permettre de formuler un projet, ou plutôt plusieurs projets plausibles. Certains apparaitront, à l’évaluation, comme soutenables, respectueux des droits de l’homme, etc. d’autres pas. Il faudra expliquer, comme le fait Dominique Méda, le 6 janvier sur France Culture en quoi ceux des projets qui répondent à la contrainte de soutenabilité construisent un monde désirable pour tous. Ecouter l’émission avec Dominique Méda Ensuite, sur cette base, il faudra envisager avec les premiers concernés, notamment ceux qui pourraient en souffrir, les mesures concrètes d’adaptation, dans la justice, et le chemin critique de leur mise en œuvre, pour qu’ils puissent y trouver leur compte et donc adhérer au projet collectif. Une approche éthique, dans un monde complexe, n’est pas de mettre sur les épaules de chaque citoyen, individuellement, la charge de formuler des propositions réalistes, au nom d’un principe de responsabilité peut-être mal compris. On voit qu’elle passe aussi par une méthode, résidant notamment dans le fait de faire la clarté sur la soutenabillité des modèles économiques et sociaux pensables, et de décrire les chemins pour y parvenir,
31 décembre 2024: Nostalgie ultralibérale ou paresse de l’imagination : l’esthétique du choc ?

Depuis quelques jours, mon rituel poème de nouvel an m’échappe…. … il risque d’être trop noir pour le genre, sentencieux… Changer complètement d’orientation ? Difficile. C’est qu’avant de trouver un angle optimiste voir joyeux pour mes vœux, j’ai besoin d’affronter mon état d’esprit morose, à l’image de ce que fut 2024. Alors, ces intuitions qui ne font pas un poème, essayons d’en faire une chronique à offrir à mon blog pour l’année 2024. Lourd et gris millésime, 2024, chacun le sait. Les Jeux Olympiques ont sans doute offert à certains un répit et une occasion d’optimisme, mais je ne soupçonnerai pas ceux qui auront le mieux bénéficié de ce choc vitaminé d’être moins lucides sur le reste. Pour tous ceux qui, comme moi, croyaient à une certaine pédagogie des difficultés, sinon des catastrophes, l’approfondissement des régressions, écologique, sociale, politique, tandis que s’aggravait la catastrophe écologique et sociale a produit un atterrissage brutal, une opaque stupéfaction. J’ai tenté de les analyser dans un article du mois de septembre sur la confusion éthique. Et hier encore, deux journalistes du Monde, Audrey Garric et Stéphane Foucart, actaient le passage à vide de la transition écologique française, l’urgence de ces questions ayant disparu du discours politique, même au rang de politesses de langage sans conséquence, et le climatoscepticisme étant en hausse dans l’opinion. Stéphane Foucart fait d’ailleurs partie de ceux qui observent le phénomène d’écolobashing en hausse, comme dans une chronique, parue dans Le Monde des 23-24 juin 2024, intitulée « voter contre soi-même ». Il y analyse le déni des victimes des inondations de l’hiver 23-24 dans le Pas de Calais, le refus d’admettre que ce sont les atteintes à l’environnement, ou l’inadaptation des aménagements aux changement climatique, qui les ont frappé, et leur colère curieusement retournée contre les écologistes. Désespérant mécanisme de recours à un bouc émissaire pour ne pas regarder les problèmes en face. C’est dans ce contexte, que le président Nanon, en décembre 2024, invoque un « choc d’espérance ». C’est, un peu avant la réouverture de la cathédrale Notre Dame, en visitant ce chantier hors-norme, et pour se réjouir avec les acteurs de ce projet un peu fou de restauration, mené à bien en un temps record. Un succès rebâtisseur incontestable. Il est justifié de les féliciter, tous ces compagnons, et même de se féliciter soi-même. D’extrapoler, comme on l’a fait depuis à tous sujets réclamant un tantinet de volontarisme ? Disons que c’est de bonne guerre. Mais enfin, un choc, l’espérance ? Une fois encore, on se réveille groggy : Nanon a fait son exhibi… Choc d’offre, de compétivité, d’innovation, des savoirs… de la part de ceux qui voudraient nous gouverner, du moins à la mode actuelle, serions-nous les objets, les prétextes, d’une intention, voire d’une esthétique du choc ? C’est peut-être qu’après avoir professé que « there is no such thing as a society » (Thatcher) ou qu’il n’existait pas de bien collectif, seulement une addition d’intérêts particuliers (Balladur, Sarkozy), il faudrait trouver une manière d’animer, de faire marcher droit, ce corps social cousu de morceaux de viande disparate. D’où le choc électrique qui nous mettra littéralement au pas, nous le peuple impénitent, monstre composite de la start-up Frankenstein inc. Le président Nanon nous verra t’il un jour autrement qu’en boules de billard ? Et non plus le monde, seulement, en Large Hadron Collider (nonobstant le chant du boson) ?. Mais peut-être accoler choc et espérance révèle t-il une nostalgie ou un désir secrets, ceux de pouvoir appliquer enfin cette bonne vieille stratégie du choc à fin de remise à l’équerre capitaliste, cette stratégie que Naomi Klein a dévoilée, celle qui permet, après une catastrophe, de revenir sur les structures sociales, politiques, culturelles, que l’on croyait les mieux acquises, comme Thatcher profitant de la guerre des Malouines pour imposer sa politique de destruction sociale, ou les vautours de la Nouvelle Orléans après Kathrina, les capitalistes du désastre à Porto Rico après l’ouragan Maria, Millei après hyperinflation en Argentine? Pour le duo Trump/Musk , on commence à peine à voir. On n’a sans doute pas fini. On me dira que s’agissant de la France je vais peut-être un peu loin. Restons donc tout près du sens des mots. Celui d’Espérance, le laisserons nous occuper, quadriller, par une foi d’animal, intérêt et capital ? Qu’en savons-nous de l’espérance ? Parlons déjà d’espoir, dont notre langue (chance ?) le distingue, depuis peu, sans doute, puis qu’au dix-neuvième avoir des espérances, c’était supputer un héritage. Espoir, espérance, laissons de côté celui du gain, jeu à somme nulle. L’espoir on peut plus facilement le cheviller au corps. L’espérance, il m’est plus facile d’en dire ce qu’elle n’est pas, rappeler qu’elle n’est pas où on la cherche. L’espoir qui nous parle à tous, c’est quand je travaille, quand je combats, parfois quand je nage à contre-courant, quand je vois naitre et grandir. C’est quand je relève, quand je restaure (pourquoi pas ? ) et quand je plante. Quand je sens que ça ne s’arrêtera pas avec moi. Tout ça c’est lent, ça germine plus que ça fulmine, c’est opiniâtre ou détendu, c’est ouvert ou c’est défendu, c’est plus ou moins harmonieux, d’une beauté quelquefois convulsive, mais ça n’a rien à voir avec un choc. Et donc l’espérance ? Est-ce l’accélération de l’espoir ? La descente dans sa profondeur ? Une autre de ses dérivées? Un passage à la limite ? Une quintessence de l’optimisme vital ? Ou bien quelque chose d’un tout autre ordre ? Sur le mont Horeb, sécheresse, désolation, le prophète Elie, arrive enfin, vaincu et désespéré. Il attend Celui qui ici le convoque. Passe un vent violent qui déchire montagne et rochers. Passe un tremblement de terre. Passe un terrifiant incendie. Mais l’Eternel ne réside dans aucun de ces « chocs » puissants. Survient alors un murmure, doux et léger … (d’après le premier livre des Rois, chapitre 19)
15 novembre: à la radio, un retour sur l’incendie de la médiathèque de Borny

Ce « monument » tellement aimé, célébré, mais abandonné à la destruction…. La très belle série d’émissions « les pieds sur terre » sous le titre générique « Nanterre pas ton rêve », revient sur les émeutes consécutives à l’assassinat de Nahel en juin 2023. Mercredi 15 novembre, il s’agit de la médiathèque de Metz-Borny, il est temps, en effet, d’y revenir. Vers la page de l’émission Des paroles d’habitants de longue date, un homme âgé, ancien instituteur en maternelle. Un étudiant en droit pour qui la médiathèque e été le lieu de rencontre avec les livres, les films, mais aussi l’endroit où il venait faire ses devoirs, préparer ses examens, une matrice de « réussite » pour sa fratrie et lui même. Sarah, la maman d’un enfant de 3 ans, qui lui lit des histoires tous les soirs . Deux bibliothécaires, dont transparait si fort l’amour pour les enfants qu’elles accueillaient dans « lile aux bébés », des animations pour les 0 – 3 ans autour du livre. Leur inquiétude aussi, car le lieu prévu pour une reconstruction est plus éloigné des habitations, une grande partie des habitants n’iront pas aussi loin. Une merveille d’empathie, cette émission. Le voeu qu’exprime Sarah, à la fin, c’est d’ailleurs que, recontruite, la médiathèque devienne aussi un lieu d’écoute et de prévention. Mais l’émission réveille les interrogations que je posais dès le lendemain de l’incendie; pourquoi la médiathèque de Borny, si centrale, si importante pour ces générations d’enfants devenus parents à leur tour, n’a pas été mieux protégée? Ce lieu qui abritait 100 000 documents, dont des collections uniques, irremplaçables… Les bibliothécaires racontent que dès la veille, la bibliothèque avait été vandalisée: vitres cassées, ordinateurs déplacés, tentative de mettre le feu à un siège… . On leur avait demandé d’emmener leurs effets personnels, elles ont préféré emporter quelques caisses de livres… La mairie de quartier attenante elle aussi avait été attaquée..Cet incendie, comme on pouvait d’ailleurs le supposer sans même était donc prévisible. Mais pas de protection sur place, les secours ont mis trois quart d’heure à arriver, rien n’a pu être fait… Depuis la mairie a ouvert une cagnotte pour que la population puisse contribuer à la reconstruction… Mais les choix budgétaires de la municipalité ne sont, clairement, pas en faveur de la lecture publique, dont on a de bonnes raisons de penser que les dirigeants n’y croient plus, et depuis longtemps… Dès lors, quelle crédibilité, quelle équité à un tel appel?
27 septembre 2023 : Fantasia, ou sex-toy?

SUV, ou sport utility vehicle. On a le droit de se lâcher : Scandale UniVersel ? Stimulation pUrement Virtuelle ? Sordide Usurpation Violente ? Mon enVie, j’asSoUVis, que les autres assument ! De 1,5 à 2,5 tonnes de ferraille et plastiques quand même. Les émissions de GES qui vont avec. Il commence à y en avoir d’électriques. Bon pour le moral, certes, mais un SUV électrique ça doit sucer plus d’électricité, en proportion, qu’une voiture moins lourde, non ? A croiser avec ce post récent de Novethic sur la consommation de l’avion vert. C’est un autre sujet, certes, mais illustre aussi les limites du recours à l’électricité, surtout si on veut continuer la fuite en avant dans les consommations énergétiques. Prix d’un SUV : entre 30 000 et 150 000 euros neuf,. Et le problème c’est que plus c’est cher, plus ça risque de gagner, pour les autres, ceux qui ne peuvent pas, le statut d’une image patentée du bonheur, d’un horizon de désir. Si tu n’as pas ton SUV à 50 ans… Bonne nouvelle, en occase, c’est presque à la portée de tout le monde. Bref, le simili 4×4 de l’ère médiocratocène, la distinction pour les nuls. On sait qu’ils fleurissent à Paris, où leur principal mérite, outre la déjà invoquée distinction, est de permettre de grimper sur les trottoirs (merci pour ce rappel, Jacques D.). Ils se multiplient aussi à Metz. Plus qu’ailleurs, je ne sais pas. Peut-être la proximité du Luxembourg, où les transfrontaliers peuvent dépenser leurs salaires imbattables (10% au total, du PIB de la Lorraine !!) en joujoux défiscalisés, joue-t-elle un rôle. Peut-être est-ce partout, dans notre belle France, notre belle Europe, sans parler des splendides USA. J’ai l’impression qu’ils prolifèrent depuis le déconfinement, et je parierais bien – tiens, un exemplaire dédicacé de Par où Or (ne) ment! qu’on a affaire à une logique de compensation. Un pari 100% gagnant pour tous ceux qui voudront jouer avec moi : en gros, je troquerai le bouquin contre vos statistiques et arguments, je publierai la synthèse ici. A vos documents ! Pour revenir au troupeau des SUiVistes, mon hypothèse est qu’on est dans la revanche sur la vachitude de la vie collective. Je n’ai pu prendre l’avion autant que désiré vers les destinations estampillées bonheur, instagram-compatibles, quoi… (A ce sujet, voir un très intéressant article de Weiqiang Lin dans Métropolitiques sur le revenge travel, le voyage de revanche… dans lequel l’auteur soutient la thèse d’une industrie aéronautique qui utilise cette frustration « la pandémie a fait de l’industrie aérienne une créature plus insatiable qu’auparavant, alors même – ou peut-être parce que – bien des voyageurs plébiscitent son retour ») Alors, poussons un peu l’analogie. Vous m’avez fait ch…, tribuler, vous, chauve-souris, pangolins, chinois en chine, Etat, société, en m’empêchant d’aller boire ma caïpirinha sur une terrasse d’Ipanema ou de Phuket, vous m’avez puni, fait les gros yeux, privé de moutarde, envoyé au coin, forcé à me vacciner, et toc du coup ducon, je vous fait un SUV d’honneur. Bon je SUbodore aussi des p’tites réminiscences intimes ou assumées de car je le Vaux bien, sur laquelle le marketing des compagnies automobiles s’appuie en sourdine…. Parce que bien sûr, derrière cette appétence d’un certain public pour les SUV, il y a la volonté de continuer à se développer, contre tout, de cette industrie, de cette branche du capitalisme. On sous-estime l’attachement des heureux possesseurs à leur objet fétiche. Andreas Malm, pages 99 et suivantes de Comment saboter un pipeline (La Fabrique éditions, 2020, 216 pp 14 €) rappelle l’action inaugurale d’un groupe d’activistes qui, en juillet 2007 dans un quartier rupin de Stockholm, avaient -réversiblement – dégonflé les pneus de 60 SUV de riches (ni des utilitaires, ni des véhicules de personnes handicapées, etc..) et les réactions outrancières bien que lyriques, pleines de fantasmes de vengeance, à cette action de désarmement qui n’avait pourtant entrainé aucun désagrément durable. Exemples, entre menaces de mort, et messages d’injures : Comme beaucoup d’autres (courage de ne pas se sentir trop seul) je vous mets au même niveau que les kamikazes ou les pédophiles. Je préférerais même qu’on libère des pédophiles et qu’on remplisse les prisons de gens comme vous. Ou encore: L’air dans mes pneus est un bien privé – le dégonflage est une attaque contre la démocratie. Etc.. L’outrance est grande, on la gonfle au souffle que l’on peut, mon n’veu… Bon, des stupidités, des réactions d’indifférence et de déni, on en a déjà arpenté des kilomètres. Ceux qui nous survivront (on espère qu’il y en aura) en feront des blagues. Souvenez-vous : passage de l’an 1999-2000. Les tempêtes Lothar et Martin. A Paris, pour célébrer l’an 2000, tout un village de moulins à vent avait été construit le long des Champs Elysées. Parait que c’était joli. Dire que Lothar a bousculé tout ça est un euphémisme douceâtre. Eh bien j’en connais un qui, le lendemain, a pris sa voiture (alors que de chez lui c’était direct en métro !) pour aller s’en esbaudir. Mais le SUV, le pied de nez à la société qu’on érige en infrastructure meurtrière, c’est autre chose. Ma mâlitude. Ma SUb-Version à moi. Si je savais tirer en l’air en montant un cheval noir au galop, décoiffé, magnifique, je n’aurais pas besoin d’un SUV. Si je savais et voulais bien transmettre quelque chose à mes enfants, à mes petits-enfants, à mes neveux, mes pupilles d’Etoile à Nation, etc.. je n’aurais pas besoin non plus de ce symbole assassin. C’est comme ça qu’on passe de la plus noble conquête de l’homme à sa plus ignoble quéquette. S’affranchir de l’affect qu’il y a derrière nos sex-toys ? Difficile, sans doute… Par delà le coup de gueule … J’avais sans doute besoin de me défouler, contre ce symbole agressif d’une hyper consommation de luxe… Pourtant je le reconnais volontiers, ce coup de gueule est aussi un aveu d’impuissance, un constat d’échec. Comment rejoindre, comment parler aux propriétaires de SUV – à ceux qui ont le projet
(sur le numéro de Challenges du 1er juin 2023) : L’économiste et le thermomètre

L’urgence climatique entre le drame de la dette publique et la tragédie des communs Il m’arrive de lire, sans prétention, des quotidiens ou magazines dits « économiques » comme les Echos, Challenges… assez pour éprouver des impressions, ressentir des intuitions, pas assez, bien sûr, pour faire des statistiques et énoncer des thèses ! Mes impressions c’est que le climat, c’est le cas de le dire, n’y parait pas hostile, du moins massivement, à la prise en compte des enjeux climatiques… . Vas-y Manu, cause nous écolo ! disent les Echos Par exemple, qui donc pose la question : Quand Emmanuel Macron se décidera-t-il à parler enfin – vraiment – d’écologie ? Eh bien, c’est le quotidien des milieux économiques « Les Echos » ! dans un article d’Anne Feitz, , intitulé La Planification écologique, angle mort de la rentrée politique (Les Echos du 6 septembre 2023). Dans ce même esprit, j’ai lu avec attention le numéro de Challenges n° 789 du 1er au 7 juin 2023, que je l’espère, vous pourrez le retrouver car il mérite un détour ! Ces lectures un peu sporadiques permettent-elles de se faire une idée de la conscience écologique de la presse, voire des milieux économiques, dans la mesure où cette globalisation aurait un sens ? Cette conscience est-elle alignée sur les partis politiques, notamment à droite ? La question en tous cas a été récemment relancée par les débats qui ont eu lieu autour du vote, par le parlement européen de la « loi de conservation de la nature ». Grand écart et bonne surprise Concernant Challenges du 1er juin, l’impression, en première approche, est celle d’un grand écart : la page de titre, d’abord, qui crée le choc, apparemment, entre la Dette publique « Le vrai risque » et le Climat « 10 bonnes et mauvaises nouvelles ». Tombant dessus à la gare de l’Est, je me suis cru revenu aux temps pas si anciens, où l’inestimable Michel Pébereau, chef de file de la commission rédactrice du rapport portant son nom, commandé, sous la 2e présidence de Jacques Chirac, par le ministre Thierry Breton, voulait mettre l’inquiétude sur la Dette publique au même niveau que celle sur le climat (le choc que j’en ai ressenti fut une des fortes inspirations de mon livre Par où Or (ne) ment !). On sait aussi que le succès de Michel Pébereau a peut-être dépassé ses propres attentes, car l’inquiétude sur la Dette a justifié des cures d’amaigrissement des services publics, désastreux, tandis que la préoccupation sur le climat est restée assoupie sur son mol oreiller au moins jusqu’en 2016 ou 2017 (comme on oublie vite !), et qu’aujourd’hui, bien qu’on ne parle que de cela, météo oblige, on sent encore beaucoup de résistances… Mais non, fausse alerte, les articles de Challenge n°789 ne sont pas unanimement pro ou anti-climat, et révèlent une discussion interne à la revue. La surprise est plutôt bonne : dans l’ensemble, le contenu me parait intelligemment nuancé, et, semble dénoter un niveau de prise de conscience de la presse économique qui semble bien supérieure à celle d’un Président et d’un gouvernement qui se proclament par ailleurs pro-business. Bruit, fureur et actionnaires Sous le titre Le climat dérègle les Assemblées générales, Claire Bouleau rappelle la multiplication des démonstrations de colère (qui) s’expliquent par une préoccupation grandissante de la société, et relève que les activistes en AG trouvent de nouveaux alliés, tels que les communautés impactées, scientifiques et … certains financiers, parmi lesquels de puissants fonds d’investissement américains comme Blackrock et Vanguard. Pour ceux-ci, les votes en faveur des résolutions activistes ont pour but de forcer les entreprises à être plus transparentes et à prendre des engagements plus ambitieux. Les producteurs d’hydrocarbures ne sont plus les seules cibles des défenseurs de l’environnement, relève Claire Bouleau, les acteurs financiers, sans lesquels les pétroliers ne pourraient agir, sont pris à partie, avec une augmentation des résolutions activistes de 4% à 24% en un an. Pour autant, les actionnaires se préoccupent toujours plus de la hausse de leurs dividendes que de la température, malgré quelques signaux, comme la reconnaissance par Total Energies que tenir l’accord de Paris impliquait de ne plus financer l’industrie fossile. Reste à joindre le geste à la parole, conclut Claire Bouleau. Au rapport ! La revue analyse ensuite le rapport de Jean Pisany-Ferry, Les incidences économiques de l’action pour le climat remis le 22 mai, comme bonnes et mauvaises nouvelles. (L’opinion de Pierre Gollier est souvent mise en contrepoint des éléments issus du rapport.) Premier point de l’énumération : la neutralité carbone est atteignable, car, depuis 1990, avec une augmentation du PIB de 50%, l’empreinte carbone de la France a diminué de 20%. Mais cela suppose une grande transformation, d’ampleur comparable aux révolutions industrielles du passé… Ensuite, nous ne serions pas condamnés à choisir entre croissance et climat. Selon les auteurs, la voie de la décroissance est une voie sans issue car passerait par l’annulation des gains de revenu des derniers siècles. Gollier pour sa part estime qu’une décroissance du pouvoir d’achat n’est possible que dans le cadre d’une dictature écologique. Mais les réglementations environnementales stimuleront le progrès technique et devraient permettre de concilier les deux objectis. La sobriété pèsera moins de 20% de la baisse des émissions. Les auteurs du rapport se méfient de la notion de sobriété sous contrainte, et rappellent la prégnance des modes de vie dans la structuration de la consommation, comme la dépendance à la voiture individuelle entrainée par la périurbanisation. Citant Pierre Veltz, ils rappellent, qu’il est difficile de demander de la sobriété individuelle au sein d’une société organisée autour de l’abondance et du gaspillage… La décarbonation coûtera 2 points de PIB par an, et la transition se paiera d’un ralentissement de la productivité. En effet, elle entrainera une bosse d’investissement, pour des dividendes déportés de dix à vingt ans. L’acier qui sort ou le service rendu… reste le même, sans gain immédiat. Un accroissement des prélèvements obligatoires sera nécessaire. Par ailleurs, le risque sur la dette publique est de 25 points en plus en 2040. Enfin, la transition augmente le risque inflationniste, du fait de la concentration des investissements et de
9 août 2023 : Je n’en mourrai pas …

Mon assureur décès m’a laissé tomber il y a quelque mois au motif que j’avais passé les soixante-cinq ans. Bon. « Je n’en mourrai pas », me dis-je. Mais mon sentiment de responsabilité (mon épouse, mes enfants, etc..) et même si j’ai déjà une assurance décès causes accidentelles, et même doublée ou triplée dans certains cas, et qui elle, reste ferme comme les mâchoires d’un piège en acier, ça me chiffonne un peu de ne plus avoir d’ »assurance-décès toutes causes », comme ils disent. Je fais donc un dossier auprès d’une autre mutuelle (dans l’univers de la sécu à trous, rien n’empêche de cumuler) qui comporte un questionnaire médical, et il se trouve que j’ai, depuis longtemps, plusieurs pathologies à surveiller (à côté de ton corps, jamais, jamais, ne t’endors !). Et voilà qu’on m’en diagnostique une nouvelle, pas si petite, mais bien circonscrite. Si je me soumets bien à ce que me recommande le corps médical, je n’en mourrai pas. Enfin, qui sait ? Guérison à 90% et dans les 10% restants, j’ai encore » »une cartouche à tirer », comme ils disent. Je me doute bien, nonobstant, que cet optimisme ne vaut pas pour mon dossier. Je crains qu’on me propose de fortes surcotisations que mon sentiment de responsabilité déjà cité me poussera à accepter, ou même que l’assureur exclue tous les vrais risques, n’acceptant d’assurer que des éventualités aujourd’hui très peu probables chacune, quoi que si on les additionne…. Finalement, l’assureur décès décide de me faciliter la tâche et refuse en bloc. Contrairement au dossier, je n’en mourrai pas, et d’autant moins qu’il m’ôte ainsi de plusieurs doutes et dilemmes, substances hautement pathogènes ! Mais voilà que la conseillère de la mutuelle m’appelle pour me le dire. C’est une gentille attention. A peine m’a-t-elle annoncé avec précaution ce qu’elle considère comme une triste nouvelle, qu’elle poursuit : » l’autre jour, je vous avais parlé de notre offre d’assurance obsèques, avez-vous réfléchi, voulez-vous la souscrire ? » Quelque chose doit heurter ma sensibilité car je me récrie : « eh, je ne suis pas encore mort ! » « Non, non, bien sûr », me dit-elle, mais plus on attend, plus c’est cher, alors je vous en parle! « Je crois que je ne fais que répéter : « je ne suis pas encore mort ! » Alors, elle: « bien-sûr, il faut positiver! »
11 juillet: médiathèque de Borny, paroles

De la médiathèque Jean-Macé, il ne reste plus que les murs Sur les grilles sécurisant (!) le site, dans des pochettes de plastique, des témoignages de voisins, d’habitants du quartier. d’usagers. Beaucoup de dessins d’enfants. La parole est à eux Mots de stupeur Médiathèque, c’était mon enfance,… Pourquoi ??? On a peur Inquiet (Emine 30 (?) ans) J’ai entendu cette expression un jour : un être qui meurt, c’est une bibliothèque qui brûle. Je la vois brûler et se consumer sous mes yeux. (anonyme) Arrêtez ! Cette médiathèque était jolie (anonyme) Mots de regrets, de tristesse Borny, ton cœur saigne. Il était un lieu magique, unique, au milieu des livres qui délivrent qui nous transportent vers d’autres horizons. L’oasis a brûlé. Nous avons besoin de rêver. Il faudra reconstruire et réinventer. (Dominique, 60 ans.) « C’est dommage ce qui se passe. On n’a rien compris, ça choque. Cela fait des années qu’on habite à Borny. On a besoin de notre mairie et de notre médiathèque. On a envie de pleurer. Un chagrin sans limite. » (Djamila. 62 ans) Mots de prise de distance, d’indignation « C’est inadmissible d’avoir brûlé la médiathèque, la mairie, etc. à la fois triste et en colère des événements produits les derniers temps ! » (Maman de Berat et Serhat) « NE TOUCHEZ PAS AUX ECOLES ! PENSEZ A NOS ENFANTS ! » (Anna, 40 ans) « On regrette profondément ceci qui s’est passé les derniers jours. On espère que ça ne se reproduira plus. On regrette tout ce qui a été brûlé et cassé, surtout la bibliothèque et la mairie. On est attristés énormément et nous condamnons fermement. On est avec les marches blanches et manifestations en paix non avec les destructions. » (Abicha, 32 ans) Mots pour l’Avenir « Beaucoup de regrets pour des bâtiments, mais peu de propositions d’actions pour réanimer le lien social et l’implication des parents dans l’éducation de leurs enfants » (anonyme) « Tuer, brûler, détruire, c’est facile. Ça va très vite. Mais devenir un homme ou une femme c’est long, ça demande des efforts… Et construire une ville pour tout le monde c’est long aussi. Construisez, ne détruisez pas » (Brigitte) « Et maintenant ? Reconstruire, Rassembler, Essayer d’autres choses, Résister. » (Marie, 65 ans) A »près la destruction de la médiathèque, je voudrais qu’il se prenne une initiative pour reconstruire une nouvelle médiathèque. Il faut un lieu, une organisation liée à l’organisation municipale. Des dons le livres, de disques… pourraient être faits. » (Habitant depuis 50 ans. Serge, 71 ans) « COURAGE ! Rien de mieux que les mots, Ils sont détruits mais toujours vivants. Restons unis. REP NAHEL. » (Randar) « 1993 – 2023 : Médiathèque Jean-Macé de Borny, nos souvenirs partis en fumée. Reconstruction » (Errokbi M.)
2 juillet (continuée le 3) : médiathèque de Borny : Etat néant.

Mystère à Borny. Cocotte-minute à Saint-Florentin (89). En 2018, abandon du plan Borloo. Non pas la guerre de civilisation, mais la cohésion sociale! Et l’éducation populaire dans tout ça? Je suis allé acheter le Républicain lorrain ce matin du dimanche 2 juillet. Une page est consacrée aux exactions à Metz-Borny. Les deux tiers à la destruction complète de la médiathèque Jean-Macé. Un tiers à la mobilisation courageuse des parents et enseignants de l’Ecole Maurice-Barrès, qu’ils ont réussi à sauver de la destruction, en empêchant les émeutiers de pénétrer sur les lieux, mais aussi en mobilisant les élèves, pour qu’ils persuadent frères et cousins d’épargner le site. Cette mobilisation, admirable, démontre à elle seule l’attachement des habitants du quartier à leurs équipements scolaires et culturels. Quelle tristesse que la même chose n’ait pu, n’ait pas eu le temps peut-être de se mettre en place pour la médiathèque. On voudrait un véritable journalisme d’investigations locales. Car sur l’incendie de la médiathèque, les faits sur les circonstances de l’incendie, y compris sur son heure de déclenchement, sont absents du journal. Difficile de comprendre la séquence des événements de Borny. Je supposais dans mon article d’hier que les déprédations qu’avait connues la BAM aurait pu servir d’avertissement. Invérifiable à ce niveau d’information. Les élus de Metz, l’adjoint à la culture qui reprend le classique « ils s’en prennent à leur propre infrastructure », sur lequel je réagissais hier, ou le Maire, qui indique que les pompiers n’ont pu intervenir du fait de tirs de mortier, que les effectifs de la police municipale étaient insuffisants, que la police nationale était « bloquée sur le centre-ville et Woippy (au nord-ouest, alors que Borny est au sud-est de l’agglomération) » renvoient un discours d’impuissance. Le maire parle aussi d’un « irresponsable appel à manifestation des politiques » place de la République à 20 heures. J’y suis passé, la dimension politique organisée n’était pas bien manifeste … Hier, choqué notamment par le discours du policier avec qui j’avais parlé la veille, et qui s’intéressait surtout à quelques crieurs de slogans, les prenant à tort ou à raison pour des émeutiers, mais sans autre preuve que le soupçon que ce qui s’était passé ailleurs la nuit précédente pourrait aussi avoir lieu ici, j’ai interrogé l’absence de protection des équipements culturels à Borny. Je ne l’ai pas écrit, mais je pensais très fort à une possible indifférence des policiers pour ces étagères remplies d’un fatras inutile. Je serais plus circonspect aujourd’hui. Avec des éléments aussi lacunaires, comment juger d’éventuelles erreurs d’interprétation, comment étayer l’hypothèse du mépris sans verser dans le pur procès d’intention? Tant de personnes compétentes essaient de trouver des explications à ces émeutes qui ont saisi la France entière. Je me garderai bien d’ajouter mon grain de sel à cette indispensable introspection. Je me contenterai de quelques citations : cette formulation ramassée d’un habitant de Saint-Florentin, dans l’Yonne, sur laquelle Etienne L. vient d’entendre un reportage, et qu’il a bien voulu partager avec moi : « Il y avait plusieurs ingrédients dans la marmite : quartiers défavorisés, chômage, racisme, abandon, violences policières… et là, la marmite a explosé.. ». Je connais un peu Saint-Florentin, ainsi que le Weldom qui a flambé. Il est entouré de quartiers populaires. Ils s’en sont visiblement pris à ce qu’ils avaient sous la main. Dans l’agglo de Metz, les transports avaient été arrêtés en fin d’après-midi. Les jeunes des quartiers sont restés sur place, sous cloche. Cocotte-minute… La réaction d’un journaliste sur France Culture, hier, à propos de la « colère de tous ceux qui en ont assez de payer » pour réparer les dégâts des émeutes. Il serait sans doute intéressant de savoir quelle proportion de ces « braves gens » qui en ont assez de payer, ont approuvé la suppression, en 2018, du plan Borloo pour les banlieues, qu’évoquait le billet politique de Jean Leymarie sur France Culture le matin du 3 juillet. Vers le billet de Jean Leymarie: Viiolences urbaines, sommes nous en guerre civile? Pour lutter contre l’oubli (j’avais moi-même oublié cet épisode de la suppression du plan banlieues, même si j’en avais retenu l’idée générale) je retranscris ce que disait Jean-Louis Borloo en juin 2018, repris dans cette chronique. « Mon sentiment c’est qu’on est en train de remplacer le vieux monde des solidarités par le jeune monde des abandons de ceux qui ont besoin de la solidarité. En d’autres termes, si on parlait cuisine, faut faire attention à ce que notre pays se retrouve pas dans la situation désagréable où le gratin se sépare des nouilles. C’est un problème, d’une monarchie, qui en fait (n’) a plus de moyens, et ce qui me dérange c’est que les quelques moyens qu’elle a, elle a décidé d’arbitrer pour permettre à ceux qui courent le plus vite de courir de plus en plus vite. Cette vision de la société, je la trouve inefficace, dangereuse. » Et le chroniqueur de poursuivre « qu’avons-nous fait depuis pour le vivre ensemble ? » Pour Borny, la perte sera difficile à réparer. La maire de Strasbourg, Jeanne Barsaghian, témoignait au journal de 12h30 sur France-Culture, aujourd’hui, du temps nécessaire pour rééquilibrer la répartition des équipements urbains dans les différents quartiers. Jean Leymarie permet de le rappeller : l’effort pour maintenir, recréer, un environnement favorable à l’épanouissement de tous ces jeunes, par des travailleurs sociaux, des éducateurs, le soutien aux associations… doit être continu, se déployer sur la durée. Pendant près de vingt ans, professionnellement engagé, à mon petit niveau, dans le soutien aux zones rurales, en Lorraine puis, à travers le prisme plus restreint, mais incluant aussi les zones urbaines, de la lutte contre la « fracture numérique » dans le Grand-Est, j’ai été témoin des difficultés toujours croissantes de ces associations pour lesquelles le soutien public n’a cessé de décroître. Toujours les premières victimes des règles restrictives (interdiction des aides au fonctionnement, puis des arbitrages plus globaux). J’ai vu la perplexité voire la détresse des responsables de ces associations. L’Education Populaire est l’un des remèdes aux flambées de violence, comme aurait dit …
Nuit du 30 juin : Metz-Borny, la médiathèque en cendres.

45000 policiers dans les rues de France, aucun pour protéger l’accès à la culture des enfants du quartier défavorisé de Borny? J’écoute les informations de 7 heures sur France Culture. Des affrontements, des destructions dans plusieurs villes. On ne parle pas de Metz. Hier, soir, on m’avait parlé de l’attaque de la Boite à Musique ou BAM, la salle de concert à programmation de musiques actuelles située dans le quartier de Borny, le quartier populaire emblématique de Metz. Je pense aussitôt à la médiathèque Jean-Macé, une des plus belles de Metz, située dans ce quartier sensible. Je sors pour faire le marché et je croise Etienne L., la mine longue comme ça : il m’apprend que Jean Macé a flambé cette nuit. Il n’en resterait rien. Colère, deuil. J’en parle avec plusieurs paysans ou commerçants du marché. On partage bien sûr : dramatique qu’un tel équipement, situé où il est, soit parti en fumée. Je cherche des détails dans le Républicain Lorrain, qui ne parle que des terrasses de café préventivement déménagées. Il faudra attendre l’édition du Dimanche matin pour les faits précis. Plus tard, je croise Jacques, libraire à la retraite, à qui j’apprends la nouvelle. Il y allait régulièrement, me dit-il ; pourtant il habite juste à côté de la médiathèque Verlaine, en bordure du Centre Ville. Mais il l’aimait particulièrement, Jean Macé. Tu sais pourquoi, me dit-il? Parce que le mercredi les enfants du quartier venaient y faire leur devoirs, et j’aime cette ambiance. Automutilation, me dit-il encore. J’avais sinon le mot, du moins ce type de déploration à la bouche, en échangeant les impressions au marché. C’est à cela que fait très explicitement référence le magnifique poème de Victor Hugo, A qui la faute? , extrait de « L’année terrible », malheureusement actualisé, qu’ Etienne m’a envoyé par la suite. Mais là, je vois les choses autrement. Combien étaient-ils les incendiaires ? Moins d’une dizaine ? Venaient ils de ce quartier ou d’ailleurs ? Et pourquoi pas des provocateurs ? En tous cas, pas plus qu’à Sainte Soline il ne faut confondre les désobéissants civils non-violents et les black blocks, il ne faut confondre, même s’il était avéré qu’ils sont du quartier, quelques jeunes forcenés et toute une population. Qui envoyait ses enfants faire ses devoirs. Dont les jeunes filles, voilées ou pas, avaient ici un accès privilégié à la culture, grâce à une équipe de bibliothécaires réputés pour leur travail de médiation, etc… Je verrai le Répu demain. Mais on a le droit de poser la question dès maintenant : Le fonctionnaire de police « banalisé » qui voulait que je le « laisse faire son boulot »… comment lui et ses collègues l’ont-ils donc fait ? La BAM attaquée, l’assaut de la médiathèque paraissait hautement prévisible…. Un policier tue un jeune, quelle tragédie ! Mais après cela, la logique de la punition collective se met en route… et c’est la population, notamment la moins favorisée, qui se retrouve gravement pénalisée. Vous avez dit stratégie du choc ? Un article sur « La stratégie du choc » de Naomi Klein Naomi Klein et Porto Rico
30 juin : à Metz, ils nous laissent déambuler dans une ville morte.

Depuis 4 ans, Nathalie s’y préparait. La création de Mademoiselle Moselle devait avoir lieu ce soir dans le belle salle de concert de l’Arsenal. 165 choristes, un grand orchestre, 4 ans de travail (la représentation initiale aurait dû avoir lieu en juin 2021, mais avait été reportée suite à la Covid). La semaine avait été intense : répétitions tous les soirs. Nathalie avait invité sa mère venue spécialement de Paris. L’ainée de nos filles était venue de Strasbourg avec son ami. Nathalie était partie la première, pour 7 heures, et nous nous apprêtions à la suivre, quand elle revient, bouleversée, écoeurée : elle a appris l’annulation de l’événement par une affiche placardée à l’entrée de la salle, indiquant que « des organisations politiques avaient prévu de manifester ce soir ». Des courriels avaient été envoyés deux heures plus tôt, mais n’avaient pas été lus. Au-delà de la frustration, nous décidons quand même de sortir. Nous marchons vers la place de la République et l’Arsenal. Les restaurants, les cafés sont fermés, à l’exception d’un seul, place Saint Jacques, le cinéma aussi. Place de la République : un attroupement, une centaine de jeunes, en fait d’organisation politique 1 ou 2 fanions rouges. Des slogans bien connus : Qui c’est le casseurs – qui c’est les factieux – à bas à bas ce gouvernement qui nous maltraite et qui nous tue ! Une banderole est déployée : justice pour Nahel. Quelque jeunes portent des masques noirs. Je m’éloigne, retrouve le groupe familial. Nous allons vers la salle de l’Arsenal par l’Esplanade. Devant la statue de Ney, un homme d’une soixantaine d’années, en civil, parle au téléphone : il sont une quinzaine, masqués, on va les contourner et les coffrer. Je l’interpelle : ils ne font pas de mal, manifester est un droit, etc.. Vous, je vous parle pas me crache-t-il ! Laissez-moi faire mon travail ! Regardez la télé, voyez ce qui se passe ! Il s’éloigne. Je fais trente mètres, m’adresse à un jeune masqué. Le préviens que les policiers sont en train de les encercler. On s’en bat les couilles, on les baise ! me lance-t-il. Nous ne verrons pas la suite, préférant ne pas être mêlés aux échauffourées éventuelles. Les bords du plan d’eau, le bras morts de la Moselle sont sereins. La lumière est magnifique. Les roseaux poussent dru dans les zones peu profondes. Un hélicoptère nous survole. Une jeune femme conseille de ne pas aller en ville, il y a les gaz lacrymogènes, dit-elle. C’est Tom, le copain de ma fille Ariane, qui a sans doute raison : tout cela ressemble à la stratégie du choc chère à Naomi Klein. On est loin d’avoir tout vu.