
SUV, ou sport utility vehicle. On a le droit de se lâcher : Scandale UniVersel ? Stimulation pUrement Virtuelle ? Sordide Usurpation Violente ? Mon enVie, j’asSoUVis, que les autres assument !
De 1,5 à 2,5 tonnes de ferraille et plastiques quand même. Les émissions de GES qui vont avec. Il commence à y en avoir d’électriques. Bon pour le moral, certes, mais un SUV électrique ça doit sucer plus d’électricité, en proportion, qu’une voiture moins lourde, non ? A croiser avec ce post récent de Novethic sur la consommation de l’avion vert. C’est un autre sujet, certes, mais illustre aussi les limites du recours à l’électricité, surtout si on veut continuer la fuite en avant dans les consommations énergétiques.
Prix d’un SUV : entre 30 000 et 150 000 euros neuf,. Et le problème c’est que plus c’est cher, plus ça risque de gagner, pour les autres, ceux qui ne peuvent pas, le statut d’une image patentée du bonheur, d’un horizon de désir. Si tu n’as pas ton SUV à 50 ans… Bonne nouvelle, en occase, c’est presque à la portée de tout le monde. Bref, le simili 4×4 de l’ère médiocratocène, la distinction pour les nuls.
On sait qu’ils fleurissent à Paris, où leur principal mérite, outre la déjà invoquée distinction, est de permettre de grimper sur les trottoirs (merci pour ce rappel, Jacques D.). Ils se multiplient aussi à Metz. Plus qu’ailleurs, je ne sais pas. Peut-être la proximité du Luxembourg, où les transfrontaliers peuvent dépenser leurs salaires imbattables (10% au total, du PIB de la Lorraine !!) en joujoux défiscalisés, joue-t-elle un rôle.

Peut-être est-ce partout, dans notre belle France, notre belle Europe, sans parler des splendides USA.
J’ai l’impression qu’ils prolifèrent depuis le déconfinement, et je parierais bien – tiens, un exemplaire dédicacé de Par où Or (ne) ment! qu’on a affaire à une logique de compensation.
Un pari 100% gagnant pour tous ceux qui voudront jouer avec moi : en gros, je troquerai le bouquin contre vos statistiques et arguments, je publierai la synthèse ici. A vos documents !
Pour revenir au troupeau des SUiVistes, mon hypothèse est qu’on est dans la revanche sur la vachitude de la vie collective. Je n’ai pu prendre l’avion autant que désiré vers les destinations estampillées bonheur, instagram-compatibles, quoi… (A ce sujet, voir un très intéressant article de Weiqiang Lin dans Métropolitiques sur le revenge travel, le voyage de revanche… dans lequel l’auteur soutient la thèse d’une industrie aéronautique qui utilise cette frustration « la pandémie a fait de l’industrie aérienne une créature plus insatiable qu’auparavant, alors même – ou peut-être parce que – bien des voyageurs plébiscitent son retour »)
Alors, poussons un peu l’analogie. Vous m’avez fait ch…, tribuler, vous, chauve-souris, pangolins, chinois en chine, Etat, société, en m’empêchant d’aller boire ma caïpirinha sur une terrasse d’Ipanema ou de Phuket, vous m’avez puni, fait les gros yeux, privé de moutarde, envoyé au coin, forcé à me vacciner, et toc du coup ducon, je vous fait un SUV d’honneur.
Bon je SUbodore aussi des p’tites réminiscences intimes ou assumées de car je le Vaux bien, sur laquelle le marketing des compagnies automobiles s’appuie en sourdine…. Parce que bien sûr, derrière cette appétence d’un certain public pour les SUV, il y a la volonté de continuer à se développer, contre tout, de cette industrie, de cette branche du capitalisme.

On sous-estime l’attachement des heureux possesseurs à leur objet fétiche.
Andreas Malm, pages 99 et suivantes de Comment saboter un pipeline (La Fabrique éditions, 2020, 216 pp 14 €) rappelle l’action inaugurale d’un groupe d’activistes qui, en juillet 2007 dans un quartier rupin de Stockholm, avaient -réversiblement – dégonflé les pneus de 60 SUV de riches (ni des utilitaires, ni des véhicules de personnes handicapées, etc..) et les réactions outrancières bien que lyriques, pleines de fantasmes de vengeance, à cette action de désarmement qui n’avait pourtant entrainé aucun désagrément durable.
Exemples, entre menaces de mort, et messages d’injures : Comme beaucoup d’autres (courage de ne pas se sentir trop seul) je vous mets au même niveau que les kamikazes ou les pédophiles. Je préférerais même qu’on libère des pédophiles et qu’on remplisse les prisons de gens comme vous. Ou encore: L’air dans mes pneus est un bien privé – le dégonflage est une attaque contre la démocratie. Etc.. L’outrance est grande, on la gonfle au souffle que l’on peut, mon n’veu…
Bon, des stupidités, des réactions d’indifférence et de déni, on en a déjà arpenté des kilomètres. Ceux qui nous survivront (on espère qu’il y en aura) en feront des blagues. Souvenez-vous : passage de l’an 1999-2000. Les tempêtes Lothar et Martin. A Paris, pour célébrer l’an 2000, tout un village de moulins à vent avait été construit le long des Champs Elysées. Parait que c’était joli. Dire que Lothar a bousculé tout ça est un euphémisme douceâtre. Eh bien j’en connais un qui, le lendemain, a pris sa voiture (alors que de chez lui c’était direct en métro !) pour aller s’en esbaudir.
Mais le SUV, le pied de nez à la société qu’on érige en infrastructure meurtrière, c’est autre chose. Ma mâlitude. Ma SUb-Version à moi. Si je savais tirer en l’air en montant un cheval noir au galop, décoiffé, magnifique, je n’aurais pas besoin d’un SUV. Si je savais et voulais bien transmettre quelque chose à mes enfants, à mes petits-enfants, à mes neveux, mes pupilles d’Etoile à Nation, etc.. je n’aurais pas besoin non plus de ce symbole assassin. C’est comme ça qu’on passe de la plus noble conquête de l’homme à sa plus ignoble quéquette.
S’affranchir de l’affect qu’il y a derrière nos sex-toys ? Difficile, sans doute…
Par delà le coup de gueule ...
J’avais sans doute besoin de me défouler, contre ce symbole agressif d’une hyper consommation de luxe…
Pourtant je le reconnais volontiers, ce coup de gueule est aussi un aveu d’impuissance, un constat d’échec.
Comment rejoindre, comment parler aux propriétaires de SUV – à ceux qui ont le projet d’en acquérir un ? Comment franchir le gouffre qui sépare leur représentation du monde et la nôtre ?
Depuis le début des années 90, nous sommes alertés. Je me souviens d’une sieste en plein soleil vers le 20 décembre sur une pelouse d’altitude sans un poil de neige, à plus de mille mètres d’altitude, en Maurienne, face à des sommets privés de neige, déjà désertés par les glaciers. Ma préoccupation était alors discontinue. Tout a changé avec les grandes tempêtes de fin décembre en 1999, depuis, il n’est pas de jour où je n’aie été hanté par le changement climatique. Comment partager mes fantômes avec ceux qui posent des actes d’indifférence, d’affirmation de richesse, de distinction par une consommation superflue sans égard pour les émissions de luxe de gaz à effet de serre ainsi générée, de compensation aux frustrations, de fuite en avant, leurs conséquences tragiques et si largement diffusées aujourd’hui, dont les SUV sont une des manifestations les plus obscènes ? Et avec ceux qui les envient, qui les approuvent au nom d’une prétendue liberté de choix ?
Andreas Malm rappelle p 119 du livre cité plus haut, les conséquences de la conquête des marchés automobiles par les SUV. Fin 2019, l’Agence internationale de l’énergie rapportait que c’était le deuxième facteur le plus important de l’augmentation mondiale des émisssions de C02 depuis 2010 (avant) l’industrie lourde, l’aviation et la navigation. Et, écoutez bien : si les conducteurs de SUV étaient une nation, en 2018, elle aurait été à la 7e place pour les émissions de C02.
Et pourquoi, pourquoi, semble-t-il, aucun gouvernement, n’a envisagé d’interdire ce type de consommation de luxe… comme aussi et d’abord, les jets privés et des gros yachts de plaisance ?
Ce serait pourtant bien plus facile que d’aller chercher des pouièmes de baisse d’émissions chez les ménages pauvres, dans l’industrie, et surtout ce serait un gage de la sincérité, d’équité, des politiques qui doivent désormais tenter de baisser la consommation de tous, de revoir l’ensemble de nos mobilités, de l’aménagement du territoire, de notre manière d’habiter, parce que, tragiquement, nous n’avons plus le temps …
Et bien sûr, pour parler aux conducteurs de SUV il faudrait pouvoir mettre sur la table les imaginaires de chacun, pouvoir parler ensemble de leurs conséquences. Il faudrait aussi que nous soyons un peu aidés par des responsables politiques qui prennent de la hauteur.
Mais… J’adore la bagnole, qu’il disait il n’y a pas longtemps. Et cette autre, qui fut candidate à la fonction ? Fuck l’écologie punitive, qu’elle disait…
Ecologie punitive! Et les victimes des feux géants, des températures extrêmes, des énormes inondations, des vents déchainés, ne sont ils pas punis bien davantage que les responsables des émissions de luxe à qui on fermerait le robinet?
Remettre de la justice dans la stratégie d’attaque des émissions de GES, traiter d’abord des émissions de luxe, l’imposer à des gouvernements connivents, imposer une information transparente et générale sur les conséquences des doigts d’honneur, brandis par une minorité, même si celle-ci se renforce de jour en jour, pour le plus grand profit du lobby automobile : voilà, pour nous, des objectifs politiques à poursuivre d’urgence ! C’est un devoir SUVique!