Vincent Wahl - Écrits

2 juillet (continuée le 3) : médiathèque de Borny : Etat néant.

Mystère à Borny. Cocotte-minute à Saint-Florentin (89). En 2018, abandon du plan Borloo. Non pas la guerre de civilisation, mais la cohésion sociale! Et l'éducation populaire dans tout ça?

Je suis allé acheter le Républicain lorrain ce matin du dimanche 2 juillet. Une page est consacrée aux exactions à Metz-Borny. Les deux tiers à la destruction complète de la médiathèque Jean-Macé. Un tiers à la mobilisation courageuse des parents et enseignants de l’Ecole Maurice-Barrès, qu’ils ont réussi à sauver de la destruction, en empêchant les émeutiers de pénétrer sur les lieux, mais aussi en mobilisant les élèves, pour qu’ils persuadent frères et cousins d’épargner le site. Cette mobilisation, admirable, démontre à elle seule l’attachement des habitants du quartier à leurs équipements scolaires et culturels. Quelle tristesse que la même chose n’ait pu, n’ait pas eu le temps peut-être de se mettre en place pour la médiathèque. On voudrait un véritable journalisme d’investigations locales. Car sur l’incendie de la médiathèque, les faits sur les circonstances de l’incendie, y compris sur son heure de déclenchement, sont absents du journal. Difficile de comprendre la séquence des événements de Borny. Je supposais dans mon article d’hier que les déprédations qu’avait connues la BAM aurait pu servir d’avertissement. Invérifiable à ce niveau d’information. Les élus de Metz, l’adjoint à la culture qui reprend le classique « ils s’en prennent à leur propre infrastructure », sur lequel je réagissais hier, ou le Maire, qui indique que les pompiers n’ont pu intervenir du fait de tirs de mortier, que les effectifs de la police municipale étaient insuffisants, que la police nationale était « bloquée sur le centre-ville et Woippy (au nord-ouest, alors que Borny est au sud-est de l’agglomération) » renvoient un discours d’impuissance. Le maire parle aussi d’un « irresponsable appel à manifestation des  politiques » place de la République à 20 heures. J’y suis passé, la dimension politique organisée n’était pas bien manifeste …

Hier, choqué notamment par le discours du policier avec qui j’avais parlé la veille, et qui s’intéressait surtout  à quelques crieurs de slogans, les prenant à tort ou à raison pour des émeutiers, mais sans autre preuve que le soupçon que ce qui s’était passé ailleurs la nuit précédente pourrait aussi avoir lieu ici, j’ai interrogé l’absence de protection des équipements culturels à Borny. Je ne l’ai pas écrit, mais je pensais très fort à une possible indifférence des policiers pour ces étagères remplies d’un fatras inutile. Je serais plus circonspect aujourd’hui. Avec des éléments aussi lacunaires, comment juger d’éventuelles erreurs d’interprétation, comment étayer l’hypothèse du mépris sans verser dans le pur procès d’intention?

Tant de personnes compétentes essaient de trouver des explications à ces émeutes qui ont saisi la France entière. Je me garderai bien d’ajouter mon grain de sel à cette indispensable introspection. Je me contenterai de quelques citations :  cette formulation ramassée d’un habitant de Saint-Florentin, dans l’Yonne, sur laquelle Etienne L. vient d’entendre un reportage, et qu’il a bien voulu partager avec moi : «  Il y avait plusieurs ingrédients dans la marmite : quartiers défavorisés, chômage, racisme, abandon, violences policières… et là, la marmite a explosé.. ». Je connais un peu Saint-Florentin, ainsi que le Weldom qui a flambé. Il est entouré de quartiers populaires. Ils s’en sont visiblement pris à ce qu’ils avaient sous la main. Dans l’agglo de Metz, les transports avaient été arrêtés en fin d’après-midi. Les jeunes des quartiers sont restés sur place, sous cloche. Cocotte-minute…  La réaction d’un journaliste sur France Culture, hier, à propos de la « colère de tous ceux qui en ont assez de payer » pour réparer les dégâts des émeutes. Il serait sans doute intéressant de savoir quelle proportion de ces « braves gens » qui en ont assez de payer, ont approuvé la suppression, en 2018, du plan Borloo pour les banlieues, qu’évoquait le billet politique de Jean Leymarie sur France Culture le matin du 3 juillet.

Pour lutter contre l’oubli (j’avais moi-même oublié cet épisode de la suppression du plan banlieues, même si j’en avais retenu l’idée générale) je retranscris ce que disait Jean-Louis Borloo en juin 2018, repris dans cette chronique. « Mon sentiment c’est qu’on est en train de remplacer le vieux monde des solidarités par le jeune monde des abandons de ceux qui ont besoin de la solidarité. En d’autres termes, si on parlait cuisine, faut faire attention à ce que notre pays se retrouve pas dans la situation désagréable où le gratin se sépare des nouilles. C’est un problème, d’une monarchie, qui en fait (n’) a plus de moyens, et ce qui me dérange c’est que les quelques moyens qu’elle a, elle a décidé d’arbitrer pour permettre à ceux qui courent le plus vite de courir de plus en plus vite. Cette vision de la société, je la trouve inefficace, dangereuse. » Et le chroniqueur de poursuivre « qu’avons-nous fait depuis pour le vivre ensemble ? »

Pour Borny, la perte sera difficile à réparer. La maire de Strasbourg, Jeanne Barsaghian, témoignait au journal de 12h30 sur France-Culture, aujourd’hui, du temps nécessaire pour rééquilibrer la répartition des équipements urbains dans les différents quartiers. Jean Leymarie permet de le rappeller : l’effort pour maintenir, recréer,  un environnement favorable à l’épanouissement de tous ces jeunes, par des travailleurs sociaux, des éducateurs, le soutien aux associations… doit être continu, se déployer sur la durée. Pendant près de vingt ans, professionnellement engagé, à mon petit niveau,  dans le soutien aux zones rurales, en Lorraine puis, à travers le prisme plus restreint, mais incluant aussi les zones urbaines, de la lutte contre la « fracture numérique » dans le Grand-Est, j’ai été témoin des difficultés toujours croissantes de ces associations pour lesquelles le soutien public n’a cessé de décroître. Toujours les premières victimes des règles restrictives (interdiction des aides au fonctionnement, puis des arbitrages plus globaux). J’ai vu la perplexité voire la détresse des responsables de ces associations. L’Education Populaire est l’un des remèdes aux flambées de violence, comme aurait dit … Jean Macé. Au nom de la « réduction des dépenses publiques » nous l’avons vu gravement mettre à mal. Comment ne pas s’en souvenir aujourd’hui ? Un « compromis social » sera nécessaire, car les grands chantiers dans lesquels nous sommes déjà engagés de gré ou de force– notamment la lutte contre le changement climatique, qui ne peut être seulement la mutation du parc automobile de l’essence vers l’électricité, ni même seulement l’isolation, clairement indispensable, des bâtiments exigent cohésion et justice sociale, et la stabilité nécessaire à ce grand effort collectif. La discussion sur les moyens de ce compromis social à réinventer, sans que l’on puisse désormais penser pouvoir recourir à la croissance indéfinie,  et alors qu’il faudra envisager, par conséquent, le partage des stocks, et non plus seulement des flux (comme d’ailleurs l’envisageait le rapport Pisany-Ferry) sera légitime, mais ne pourra être éludé.

Cela me fait  penser, une fois de plus,  à ce livre de Wolfgang Streeck, « Du temps acheté » que je connais par sa recension de 2015 sur laviedesidees.com. L’analyse n’a pas pris une ride :

Une chose paraît certaine : toutes les alternatives imaginables, d’une part, et la priorité actuellement donnée à la Rente, plutôt qu’aux Salaires et aux investissements publics, d’autre part, resteront antinomiques.