Depuis 4 ans, Nathalie s’y préparait. La création de Mademoiselle Moselle devait avoir lieu ce soir dans le belle salle de concert de l’Arsenal. 165 choristes, un grand orchestre, 4 ans de travail (la représentation initiale aurait dû avoir lieu en juin 2021, mais avait été reportée suite à la Covid). La semaine avait été intense : répétitions tous les soirs. Nathalie avait invité sa mère venue spécialement de Paris. L’ainée de nos filles était venue de Strasbourg avec son ami. Nathalie était partie la première, pour 7 heures, et nous nous apprêtions à la suivre, quand elle revient, bouleversée, écoeurée : elle a appris l’annulation de l’événement par une affiche placardée à l’entrée de la salle, indiquant que « des organisations politiques avaient prévu de manifester ce soir ». Des courriels avaient été envoyés deux heures plus tôt, mais n’avaient pas été lus. Au-delà de la frustration, nous décidons quand même de sortir. Nous marchons vers la place de la République et l’Arsenal. Les restaurants, les cafés sont fermés, à l’exception d’un seul, place Saint Jacques, le cinéma aussi. Place de la République : un attroupement, une centaine de jeunes, en fait d’organisation politique 1 ou 2 fanions rouges. Des slogans bien connus : Qui c’est le casseurs – qui c’est les factieux – à bas à bas ce gouvernement qui nous maltraite et qui nous tue ! Une banderole est déployée : justice pour Nahel. Quelque jeunes portent des masques noirs. Je m’éloigne, retrouve le groupe familial. Nous allons vers la salle de l’Arsenal par l’Esplanade. Devant la statue de Ney, un homme d’une soixantaine d’années, en civil, parle au téléphone : il sont une quinzaine, masqués, on va les contourner et les coffrer. Je l’interpelle : ils ne font pas de mal, manifester est un droit, etc.. Vous, je vous parle pas me crache-t-il ! Laissez-moi faire mon travail ! Regardez la télé, voyez ce qui se passe !
Il s’éloigne. Je fais trente mètres, m’adresse à un jeune masqué. Le préviens que les policiers sont en train de les encercler. On s’en bat les couilles, on les baise ! me lance-t-il.
Nous ne verrons pas la suite, préférant ne pas être mêlés aux échauffourées éventuelles. Les bords du plan d’eau, le bras morts de la Moselle sont sereins. La lumière est magnifique. Les roseaux poussent dru dans les zones peu profondes. Un hélicoptère nous survole. Une jeune femme conseille de ne pas aller en ville, il y a les gaz lacrymogènes, dit-elle.
C’est Tom, le copain de ma fille Ariane, qui a sans doute raison : tout cela ressemble à la stratégie du choc chère à Naomi Klein.
On est loin d’avoir tout vu.