La dissolutine c'est pour les rustines! Nous parlerons rustines un peu plus loin. Mais d’abord de petits et même de gros trous par lesquels se dégonfle la souveraineté populaire et la délibération démocratique! Par lesquels s'exhale le déni de l’urgence climatique ! Les récentes interpellations, au motif « d’association de malfaiteurs » de militants ayant dégradé une usine du cimentier Lafarge, ainsi que l’acharnement contre le mouvement « Soulèvements de la Terre » ou encore les ZAD signent une criminalisation croissante des actions de désobéissance civile en faveur du climat, de l’eau, de la biodiversité. Michel Forst, rapporteur spécial de l’ONU sur les défenseurs de l’environnement, s’en est inquiété. La liberté des associations de s’exprimer et de faire tout simplement leur travail est entravée ; on relève que la Loi sur le séparatisme a été détournée, on parle de Contrat d’engagement républicain, la Ligue des droits de l’Homme a été récemment mise en cause, ANTICOR s’est vu refuser son agrément, etc..
Terroristes ? Malfaiteurs ? nos militants écologistes et désobéissants civils? Soyons sérieux!
Ces qualifications constituent au delà de la manipulation du langage (il faudra aussi que nous reparlions de la fameuse « écologie punitive », une rupture d’égalité ! Grosses ficelles de l’intimidation…
Il y a clairement disproportion entre les moyens utilisés et les faits reprochés à ces militants : dégradation mineures, symboliques, versus traitement réservé à des terroristes. Et l’on ne prend pas en compte qu’ils sont poussés par le désespoir et par un sentiment de partialité du pouvoir, trop lent dans ses actions et sans véritable volonté de contraindre les activités les plus polluantes par une réglementation efficace.
La désobéissance civile implique l’acceptation de sanctions – Gandhi, Martin Luther King ont toujours été clairs à cet égard. Mais si ce doit être le cas, elles doivent être appliquées en proportion des actions en cause, et dans l’impartialité.
Le déséquilibre est manifeste, entre d’une part le traitement policier et judiciaire infligé à ces personnes, et d’autre part la quasi impunité dont bénéficient les grands pollueurs, du fait de la difficulté des procédures, et des moyens colossaux que ces entreprises sont capables de mettre en œuvre, telles des armées d’avocats rompus aux subtilités des procédures et aux stratégies dilatoires. A mettre en regard avec l’indulgence, anachronique, du droit pénal vis-à-vis des crimes environnementaux ou sanitaires, et l’insuffisance des moyens de la Justice . C’est toujours moins cher – à court terme – de pendre les voleurs de pommes (encore que les militants ne méritent même pas cette qualification) que s’interroger sur le blocage social et les causes de la famine !
Le mouvement social et écologique est un précieux moyen d’expression démocratique. Il faut écouter la parole des scientifiques et de la société civile sur les nuisances et le danger créés par les mégabassines et la fuite en avant à laquelle elles participent, il faut aussi poser la question de l’action internationale du cimentier Lafarge notamment en Syrie, ce qui renvoie à la question de l’égalité posée plus haut, et tout simplement à celle du respect du droit; il faudrait aussi, par exemple, prendre en compte le pied de nez récent de Total et des autres majors du pétrole, démentant l’accord de Paris au profit de leur propre calendrier, bien plus laxiste.. Enfin, il faudrait s’interroger sur ce qui est réellement protecteur pour la société. C’est après tout cela que cela aurait du sens de limiter les débordements d’une frange très minoritaire des militants du climat, qui dénaturent sans doute les actes de protestation utiles et justifiés de la majorité de ces militants.
C'est bien joli, l'écologie ... mais l'économie? Mais le réalisme? le principe de responsabilité?
Parlons-en de réalisme économique : beaucoup d’entreprises souhaitent une politique écologique plus claire et plus résolue.
Contrairement aux idées reçues sur l’opposition de l’écologie et de l’économie pourrait laisser penser, il y a actuellement une grande attente d’une forte proportion d’entreprises pour que le gouvernement prenne ses responsabilités en matière de renforcement de la protection de la société contre les menaces écologiques. Il faut lire, par exemple, le numéro 789 du magasine Challenges (1er au 7 juin 2023) qui porte notamment sur les principales conclusions du rapport Pisani-Ferry !
Toutes les entreprises n’ont pas les mêmes intérêts et les mêmes positions. Certaines, une minorité, sont directement liés à des activités très polluantes, conscientes de leurs impacts depuis des décennies, mais continuant à prendre en otage les écosystèmes et les sociétés humaines. Les dirigeants de beaucoup d’ autres raisonnent de plus en plus comme la frange de la population la plus sensible aux enjeux écologiques. Ils ont des enfants, des petits enfants, et souvent un grand sens de leur responsabilité !
On sait que le progrès technique et des politiques incitatives basées sur le volontariat ne suffiront pas Or, les entreprises savent que leurs apports socialement utiles (production de biens, emplois, etc.. ) s’accommodent d’une réglementation contraignante : en effet, les entreprises s’adaptent à deux conditions : stabilité de la réglementation / égalité des règles pour tous. Mais les lobbyistes des plus polluantes redoutent toute réglementation considérée comme nuisible lorsqu’elle contraint à investir au détriment des dividendes exigés par les détenteurs de capital.
Il faut aussi voir les choses globalement, pas seulement du point de vue d’un acteur particulier ! Par exemple les méga-bassines : On peut comprendre l’angoisse de grands céréaliers surendettés qui voient leurs rendements baisser et la faillite s’approcher. Faut-il pourtant, à l’échelle de la société, se contenter de fuite en avant ? Celle-ci permettrait peut-être au système agroindustriel et exportateur actuel de se maintenir quelques années, mais guère plus au rythme d’asséchement des nappes phréatiques. Et au prix de l’ appropriation par quelques-uns d’une ressource appartenant à tous. La solution est plutôt dans une reconversion globale de cette agriculture et de ce système agro industriel qui doit prendre en compte les cas individuels notamment d’endettement, d’emploi, de besoin sociétal de certains produits, comme les dérivés pharmaceutiques de l’amidonnerie, etc.. Une solution construite avec tous les acteurs, y compris les défenseurs de l’eau et du climat, les syndicats, les agriculteurs, etc.. Pas dans un statu-quo qui semble ne profiter qu’au secteur financier.
C’est donc bien l’Etat, et certains partis, qui se trouvent interrogés sur leurs choix politiques !
Si l’Etat veut vraiment (quand l’Etat voudra) lutter contre le changement climatique, il aura besoin d’ une base populaire qui le soutienne dans ce sens, et soit un réservoir d’initiatives et de créativité ; pousser les militants climatiques et leurs sympathisants au désespoir ne peut qu’entrainer la société dans une forme de dualisation, et amplifier les troubles sociaux. L’historien Jean-Baptiste Fressoz conclut ainsi sa chronique parue dans Lemonde.fr du 8 juin, dans laquelle il commente la position du Ministre de la transition écologique de commencer à s’adapter à une augmentation de 4°C : Sans le dire, sans en débattre, les pays industriels ont « choisi » la croissance et le réchauffement, et s’en sont remis à l’adaptation. Cette résignation n’a jamais été explicitée, les populations n’ont pas été consultées, surtout celles qui en seront et en sont déjà les victimes. En faisant preuve de laxisme avec les grands responsables actuels des émissions, et en faisant taire les protestataires, l’Etat signe lui-même cette analyse désespérante
La fuite en avant actuelle dans la répression, consiste à casser le thermomètre, débrancher le signal d’alarme, selon le mot de Libé, s’obstiner dans un laisser-faire paresseux, cédant un petit quelque chose à chaque lobby ou courant de pensée. Cette fausse recherche d’équilibre entre intérêt contradictoires fait penser à Thatcher, à Balladur, ou à Sarkozy. There is no such thing as a society, disait la lady permanentée, et dans la même ligne, les deux autres défendaient qu’il n’y aurait pas d’intérêt général en tant que tel, rien de plus qu’une somme d’intérêts individuels. Aucun tout, qui serait davantage que la somme des parties. On voit bien à quoi ça peut nous conduire en situation d’urgence climatique…
La lucidité et le courage, serait au contraire remettre l’Etat au service de la cohésion sociale, des conditions de possibilité d’un Vivre ensemble. Aucune rustine, sécuritaire ou clientéliste, n’est compatible avec l’élan nécessaire pour organiser le débat sur notre avenir, décider des mesures protectrices à prendre, répartir les efforts dans la justice, répondre à l’éco-anxiété, notamment des jeunes, organiser l’éducation de tous, tout cela dans la ligne de la belle idée que semblait être la Convention pour le climat !
Et le périodique en ligne Lundi matin nous a fait, le 27 juin, la surprise d’une réaction, fort bien venue, de Bertolt Brecht (signalé par Etienne Lesourd. Merci, Etienne!)