Vincent Wahl - Écrits

2023 : Aurons-nous un Festiwahl de saison ?

(Même sinueux ? Faiblard  comme l’espoir?)

(Qui pourrait le prédire ?)

Vrai, cette année j’ai pas l’goût.

Pourtant j’aimais bien. Chaque année, depuis 2009, j’écrivais un billet de nouvel an – en forme de poème ou, à deux reprises, de mini BD. Des « vœux » narquois et perplexes, pour parler d’autre chose que de chance ou de réussite, éviter le récurrent Et surtout la santé – je ne vous souhaiterai pas le contraire, sans doute.

Varier les styles, faire du « neuf » chaque année, sans le dire. Mon atelier d’écriture sous contraintes à moi. Être échotier, un peu. Vœux en ramasse-miettes.

À propos de miettes on ne va pas refaire ici l’inventaire débordant, secoué, secouant, des pois chiches, grêlons, graviers, rochers bien coupants qu’a recueilli la chaussette 22 (an de petite pointure).

On pourrait faire jeuniste  :

Savonne la pyramide des âges/Glisse résolument en bas/Rejoins la génération Climat !
donner semblant d’en être, ou même se défausser

Surtout, n’éludons pas le blues : L’an demain/L’an de même ou L’an pire ?
Non, décidément…  j’ai pas l’goût.

J’ai essayé quand même et voici quelques-uns des débuts auxquels vous avez échappé :

Du futur cabaret de plein vent de Gérard, au marché de Metz : Mieux vaut soigner son nez rouge que son errance.

En plus acidulé : Transition bio égale business as yuzu …

Confus dans les échelles : un Noël dans les mers du Sud ? on trie nos déchets toute l’année on peut bien s’offrir ce petit plaisir ! (Merci à Jacques M.)

Modiste: 23 m’ira comme un slow gant !

Métier : 23 ? on creuse à La Souterraine, ou l’on tisse à Aubusson ?

Café-commerce : Dans tout y’a du bien, y’a du pas bien – faut avancer
(tiens, je ne sais plus dans quel wagon de métro j’ai entendu ça)

Journaleux : En 2023, encore plus de dissensationnel !

Monarquois : Président H n’aimait pas les sans-dents/Président M n’aime que les semblants

Branché : bon (am)père Noël !

Socio-éco : Noël sous inflation/notre mode de vie remis en question (fallait oser)

Ou, annonce Macron, providence des pannes d’inspiration : la fin de l’abondance, la fin de la facilité … – Mais pour qui ? demande justement Vincent Delecroix ?

Interloqué : Why didn’t they just surrender ?[1]
(C’est qu’ils sont, nous sommes dans le bunker/Et ils vivent/nous vivons
de signes et à l’abri des signes)

Et grâce au même Président M, au 31 décembre, miracle, coup de tonnerre dans mon ciel blues !
Il m’offre le fil de ma recherche, sur un plateau – et le plus beau !

Qui aurait pu prédire la crise climatique ?

Enfin, Président …
La bronca devant le chiffon rouge des retraites, qui aurait pu la prédire ?
L’inanition de l’Hôpital à la diète depuis si longtemps, qui aurait pu l’imaginer (et juste au moment où il commençait à ne rien nous coûter !)
Noël en décembre, qui aurait pu le prévoir ?
Un Président-premier-de-classe, à ce point-là aveugle et sourd, qui aurait pu le prédire ?

***

Au-delà du persiflage, tout à coup je me souviens. J’ai lu il y a longtemps un article de Jean-Pierre Dupuy qui évoquait ce type de cécité.

Je ne trouve rien dans mes tablettes, mais Internet       (Youpi !)       me renvoie à un article d’Esprit, de novembre 2009 :

De la certitude d’être surpris. [2]

Dans cet article, la crise économique (en 2009, on croit tout juste en sortir, avant plongée nouvelle) est présentée déjà comme indissociable de l’écologique. La réflexion sur l’aveuglement concerne l’une comme l’autre.

Dupuy explique que l’optimisme économique fait partie des mécanismes renforçant la marche à la catastrophe.
Il relève, avec Benoit Mandelbrot
Dans la phase euphorique, lorsque la « bulle » gonfle, plus on est optimiste, plus on a de raisons de l’être encore plus. C’est au moment où la bulle est sur le point d’éclater que l’euphorie est la plus forte.

Ou encore
La condition de possibilité du capitalisme est que ses agents le croient immortel. Son péché originel est qu’il a besoin d’une ouverture indéfinie de l’avenir pour avoir une chance de tenir à tout moment ses promesses.

Enfin il explique, avec Peter Thiel :
Quel intérêt un investisseur pourrait-il trouver à entretenir la pensée que le capitalisme est mortel ? Si cette éventualité se réalisait, rien n’aurait plus d’importance. Si la prédiction en était faite, avec annonce du terme, elle serait immédiatement réfutée car c’est dès aujourd’hui que la catastrophe aurait lieu. Mieux vaut donc faire comme si nous étions immortels.(…) Les agents économiques et financiers ne songent pas directement au scénario catastrophe, Ils l’écartent de leurs calculs comme étant trop horrible pour être examiné sérieusement. Mais c’est précisément en l’écartant qu’ils lui donnent une place considérable.

Et en effet, poursuit-il, l’investisseur sent bien la menace, mais ne veut pas la considérer. Il sait bien que les chances de réalisation du scénario optimiste sont très faibles, mais comme dans l’autre cas, la perte est infinie, donc pas d’alternative, il mise tout sur l’affaire qu’il envisage. Et c’est ainsi que son  catastrophisme diffus  neutralise ses derniers réflexes de prudence et entretient la logique de fuite en avant.  Le capitalisme est un                   nihilisme.

Vous me suivez ? Nos commissionnaires politiques, ne peuvent faire le taf que si persuadés que ça durera toujours. Comment imaginer que quelqu’un pourra prédire le début de la fin, puisque celle-ci ne peut être intégrée au calcul , puisque selon eux cela rend vain tout calcul ?

Président M et ses collègues
Éludent et sont surpris.

Mais alors
Si le fort-fardé de l’Elysée est l’un des chauffards à casquette graisseuse, autrefois bleue- (qui aurait pu le prédire ?)
du grand meccano général
s’il est entièrement contenu par les rails des anticipations rationnelles

quel espoir ?

L’Espoir c’était une autre idée – ok c’est un marronnier – pour un canto de la nouvelle année. France Culture me l’avait soufflé en quelques émissions fin décembre
je l’avais pris alors comme une provocation salutaire – (la résurgence de l’espoir, qui donc aurait pu la prévoir ?)
me forçant à réaliser combien je suis atrophié de par là. Muscler l’espoir, comme bonne résolution ? C’est des leçons ? Des infusions ? Fumigations ou perfusions ? Méditations ? C’est un abonnement à Espoir Park, option tapis roulant ? (Un badge de plastique en plus ? C’est violent)

Je suis pas non plus bon pour la fête            ça va ensemble peut être            Trop raide d’un côté et amoindri de l’autre              comme abducteurs et adducteurs de l‘épaule            Ça nous plaque les poulies sur les câbles et aggrave l’arthrose.

Donc la loco folle et ses chauffards coiffés nous projettent en avant – et l’on ne peut descendre, car ce train de séquoias-coupés, c’est le monde ! On aimerait, comme Kirk Douglas dans la Vallée des géants – sauter de wagon en wagon pour aller décrocher celui de queue, où se blottit la jolie quakeresse (nonobstant la forêt ratiboisée : happy end). Mais là, rien à décrocher sinon le train tout entier

Et je proclame :  si j’étais mieux doué pour l’espoir, j’en voudrais un qui puisse nous rassembler tous !
Boris Cyrulnik : Ce qui me donne l’espoir c’est qu’on est capable d’avoir de l’espoir quand on désire vivre avec les autres.[3]
C’est confondant tant c’est autoportant – presque humiliant : on croirait la fuite en avant des chauffards. Et l’on pourrait se croire avec eux            dos à dos          renvoyés.
Pourtant c’est un commencement.

Si l’on reprend le dialogue entre Camille Etienne et Vincent Delecroix[4]

Camille : Je ne vois pas l’espoir (…), comme quelque chose qui viendrait nous sauver malgré nous. (…) mais comme ce que l’on va en faire, ou même comme Thoreau (…) « prenez vos rêves pour des réalités et puis travaillez-y, pour faire en sorte que ces rêves puissent être déterminants ». (…)
Vincent « la question, finalement, n’est pas tant celle de l’espoir que (…) de ce qui motive, (..) ce qui soutient l’action. On peut par ailleurs considérer, avec le catastrophisme par exemple, qu’il y a des formes de désespoir radicales qui sont aussi motrices ».

Le catastrophisme éclairé de Dupuy un désespoir radical ?
Je ne crois pas… celui-là c’est celui, diffus, ravalé, des chauffards.
Celui de Dupuy est une ruse[5], pour nous obliger à expliciter, se projeter, regarder l’avenir, même tout noir. Condition pour pouvoir travailler
                                                                                    à l’éviter.

Delecroix : l’utopie (la dystopie ?) sert à regarder ce qui cloche
Dupuy : mon catastrophisme c’est cesser d’être fasciné par l’apocalypse

Donc l’espoir,
face à nos présidents chauffards
ce serait de leur inculquer
un peu de catastrophisme éclairé ?

Et au fond ce qui compte sans doute le plus               c’est           quand même
le début                              c’est chaque fois que je recommence
c’est quand  j’entends l’appel à me lever –
et qu’il n’y a Aucun Ours[6] –  
c’est quand quelqu’un, dans la foule, me le dit.

Bonne année !

Vincent Wahl
10 janvier 2023

[1] Exclamation d’historiens devant l’énigme de la poursuite par les nazis dans leur course mortelle, alors qu’ils étaient déjà militairement défaits.

[2] Jean-Pierre Dupuy De la certitude d’être surpris. Esprit, novembre 2009

[3] À voix nue, France-Culture, juin 2021, cité par Le temps du débat du 30 décembre 2022

[4] Le temps du débat – France culture – Les termes du débat n°58, Espoir, Vendredi 30 décembre 2022

[5] Jean Pierre Dupuy Pour une éthique de l’avenir 

[6] Jafar Panahi